Critères objectifs (mesurables) de description des sons

Revue de littérature non-exhaustive sur le design acoustique (3/3)

éléonore sas
5 min readFeb 10, 2021

Extraits d’une recherche menée dans le cadre d’une étude sur les interfaces de fait sonores, c’est-à-dire sur les sons qui nous renseignent sur l’état d’un système. Cette revue de littérature a servi de base à une étude expérimentale sur la nature fonctionnelle de ces interfaces et sur les capacités des utilisateurs à reconnaître la nature et la fonction des sons (en particulier, les stratégies cognitives adoptées pour reconnaître un son hors de son contexte).

Cette étude a été réalisée dans le cadre de l’unité d’enseignement “Analyse des situations”, enseignée par Pierre-Henri Dejean, et avec l’aide de Nicolas Dauchez, enseignant en “Design acoustique”, tous deux à l’Université Technologique de Compiègne (UTC).

Insuffisance de la classification lexicale

Parmi la classification lexicale proposée par Maxime Carron (voir article précédent), les termes liés à la catégorie “Timbre et caractère” semblent particulièrement faciles à ressentir tout en demeurant très difficiles à expliciter (en particulier dans un questionnaire). Si on regarde différentes définitions, le timbre semble correspondre à tous les critères de description du son qui ne sont pas l’intensité sonore ou la hauteur (fréquence).

Rappel de la classification des descripteurs sonores courants en paires et selon 3 catégories

Ne réussissant pas toujours à nous entendre sur le choix de nos descripteurs sonores, et dans l’optique de produire une expérimentation liée à la reconnaissance des sons, il est nécessaire de déterminer des critères mesurables de description des sons. Et ceci dans le but de pouvoir généraliser et objectiver nos recherches. Ces critères objectifs sont également nommés indicateurs psychoacoustiques ou perceptifs.

Principaux critères objectifs / indicateurs psychoacoustiques

Intensité

Plusieurs indicateurs reflètent l’intensité sonore perçue. Le plus connu est sûrement le décibel (dB). Le décibel est l’amplitude moyenne de la pression instantanée “passée” dans la fonction logarithme en prenant une pression de référence qui est le seuil d’audition. Ainsi, le seuil d’audition correspond à un niveau sonore de 0 dB.

Néanmoins, nous percevons les fréquences basses (c’est-à-dire les sons graves) comme étant moins intenses. Il y a ainsi une atténuation naturelle de la perception de l’intensité. Mesurer l’intensité sonore en dehors de notre perception alors que nous étudions cette dernière n’est donc pas pertinent.

Un calcul complexe à partir de décibels pondérés permet de rendre compte de ce phénomène : “la sonie du grand-papa” (dB(A)). Mais ce calcul est trop caricatural et n’est vraiment précis et juste que pour des sons de basses intensités. En effet, dans de plus hautes intensités (c’est-à-dire les sons plus aigus), nous percevons mieux les basses. La sonie du grand-papa devient alors inexacte.

C’est pourquoi il vaut mieux mesurer l’intensité via un autre indicateur : la sonie, qui mesure l’intensité ressentie. La sonie va ainsi prendre en compte la correction des courbes d’isosonie pour chaque bande de fréquence (bande de Bark) ainsi que l’effet de masquage.

Hauteur (= “pitch”)

La hauteur est perçue en fonction de la fréquence fondamentale pour les sons harmoniques. Pour les autres types de sons, et surtout les plus complexes, elle peut vite devenir difficile à déterminer. Il n’y a pas toujours besoin de la définir.

Brillance (= “sharpness”)

La brillance reflète la fréquence moyenne perçue d’un son. Elle augmente parallèlement à l’augmentation de hautes fréquences. Plus il y a de hautes fréquences, plus le centre de gravité spectral est éloigné de la moyenne des fréquences. Ce phénomène dépend donc notamment des harmoniques du son (pour une explication des harmoniques, voir mon article sur le chant).

Fluctuations

La modulation correspond à une variation lente de l’amplitude (en dessous de 20 Hertz). Il s’agit donc d’une force de fluctuation du son.

La rugosité (ou grincement) est liée à une sensation de grincement, plutôt désagréable, due à une modulation rapide du son (contrairement à la modulation).

Émergence d’une fréquence pure (= “caractère tonal”)

L’émergence d’une fréquence pure peut générer une sensation désagréable (mais pas toujours), comme un sifflement.

Intelligibilité

Un son peut également être mesuré en fonction de son intelligibilité : quel est le pourcentage de mots compris ? On utilise alors l’indicateur Speech Transmission Index (STI). Pour 0 STI la compréhension est très mauvaise et très bonne pour 1 STI.

Attaque/durée (= “caractère impulsionnel”)

Il est possible d’estimer la durée d’un son, son temps de montée (“attack”) ou de descente (“release”) à partir de sa variation d’enveloppe. Pierre Schaeffer puis Claude Olivier déterminent ainsi plusieurs formes d’attaques telles que “abrupte”, “faible” ou “molle”. Celles-ci sont représentées de manière figurative.

Exemples de représentations iconiques, par C. Olivier, des attaques citées par P. Schaeffer

Conclusion

Notre façon d’appréhender les sons et de les interpréter ne semble pas innée mais bien basée sur notre expérience personnelle et notre culture sociale. De plus, l’intention avec laquelle nous “entendons”, “écoutons” ou “comprenons” les sons impacte directement les caractéristiques sonores que nous percevons consciemment. En éduquant notre oreille et en nous plaçant dans certaines situations, nous pouvons alors percevoir différemment ces signaux auditifs. Mais pour ce faire, nous nous appuyons principalement sur nos souvenirs multisensoriels et le sens / les analogies que nous avions mis en place pour mémoriser le son ou un autre similaire auparavant.

Dans le cas d’une confrontation à un son inconnu, sans contexte multisensoriel auquel nous raccrocher ou d’indices auditifs sur le contexte dans lequel se produit ce son, sommes-nous capables de deviner la source sonore dont il s’agit ? Jusqu’à quel point pouvons-nous générer une nouvelle connaissance auditive dans ce contexte ? Quelles stratégies cognitives mettons-nous en place pour y arriver et ce en fonction de celles que nous avons déjà appris à utiliser dans notre vie courante ?

Ce sont ces questions auxquelles nous avons tenté de répondre à travers une expérimentation, suite à cette revue de la littérature dont vous avez pu voir quelques extraits…

Pour rappel :

Bibliographie

Merci d’avoir suivi cette série de trois articles ! Si vous avez le moindre retour / commentaire à apporter, n’hésitez pas, ce sera avec joie !

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éléonore sas

UX designer et doctorante en géographie (La Rochelle Université-CNRS), je cherche à déconstruire/changer le rapport humain-nature occidental via un jeu sérieux.